Mémoire vive / Côté professionnel

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De la découverte de vos ancêtres à la transmission de vos histoires et souvenirs de famille

mercredi 17 avril 2013

O comme Oflag

Dernière entrée dans la vie d'Alfred Honoré. Nous l'avions laissé à l'orée de la guerre, avant le début des hostilités. La guerre est déclarée depuis septembre 1939, mais les premiers combats ne commencent vraiment qu'en juin 1940. 
Sa femme et ses enfants sont à Lormes, chez sa belle-mère. 

Alfred est sur le front, mais il ne le restera pas longtemps : il est capturé le 16 juin 1940. J'imagine son état de sidération à l'instar du reste de la France, qui vivait encore du souvenir de la victoire de 1918, qui se croyait bien à l'abri derrière la ligne Maginot, qui ne se doutait pas que les forces allemandes reprendraient le même chemin qu'en 1914 pour entrer dans le pays. Le gouvernement et l'état major français n'étaient pas passés à l'ère moderne, aveuglés par leurs certitudes, sûrs de leur position de vainqueur.

Alfred est d'abord envoyé au Camp de Mailly, où il va y passer deux mois. Il peut correspondre avec sa famille, il demande qu'on lui envoie des vêtements et que l'on fasse faire par le boulanger de Lormes des pains de garde et des biscuits de soldat. 

J'imagine le colis envoyé et la photo de famille faite à son intention qui est jointe à l'envoi.

©Jourda

En août 1940, il est envoyé à l'Oflag XIA, à Osterode, dans le secteur d’Hanovre où il demeure jusqu'en mai 1941. Puis, de mai 1941 à août 1942, il se retrouve à l'Oflag XD, situé à Fischbeck en Allemagne. Enfin, à partir de 1942, jusqu'à sa libération en 1945, il est détenu à l'Oflag XVIIA, à l'extrême est de l'Autriche.

©Jourda

Je ne sais que très peu de choses sur ses conditions de détention, sur sa vie quotidienne. Trouver de quoi manger était la première de ses préoccupations ; c'était un homme originaire du sud-ouest, avec des origines paysannes, amateur de bonne chère et qui n'avait jamais manqué de rien. Durant sa détention, il va perdre 30 kilos.

La deuxième de ses préoccupations était l'activité, tromper la faim en s'occupant. C'était un homme actif, habitué aussi bien aux travaux manuels qu'intellectuels. Là, en tant qu'officier-prisonnier, il n'a rien à faire.

Alors son occupation principale va être de recopier, page après page, un livre de recettes de cuisine, véritable supplice de tantale.

©Jourda

©Jourda

©Jourda
Parmi ses camarades de détention, certains mettent à profit leurs talents artistiques et font le portrait de leur co-détenus.
Alfred ©Jourda
A son retour, Alfred ne racontera que peu de choses de ses quatre années de captivité. Il gardera cette habitude de trancher le pain de manière tellement régulière pour que chaque morceau ait exactement au gramme près, la même épaisseur.

Il reprend sa vie de militaire, la famille s'installe à Bourges. Il veut devenir instructeur, il continue d'étudier, il passe examen sur examen. Sa progression au sein de l'armée se poursuit. Il devrait devenir commandant.

Mais il est rentré malade de détention. Il souffre d'un diabète. En formation à l'école d'application du matériel à Fontainebleau, il décède d'un malaise diabétique le 8 novembre 1950.
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Jacques Tardi qui par le passé a relaté les atrocités de la première guerre et de la (sur)vie dans les tranchées, a sorti à la fin de l'année 2012, un ouvrage où il raconte la vie de prisonnier de son père René, à partir des souvenirs que celui-ci lui a confiés, à la fin de sa vie.

C'est d'une grande précision. En le lisant, j'ai retrouvé les quelques éléments, les quelques bribes d'informations qui m'étaient parvenues par le filtre de mon père, qui lui même ne savait pas grand-chose des années de captivité de son propre père. La préface de l'ouvrage est remarquable et donne avec le recul plusieurs éléments d'explication du silence des prisonniers à leur retour : l'humiliation de la défaite, notamment au regard des anciens combattants "victorieux" de 14-18 ; la découverte et l'abomination des camps d'extermination, tragédie à laquelle ils n'ont pas voulu confronter leur propre captivité, par peur peut-être de paraître indécent. Et puis pour parler, il faut être écouter, et dans l'immédiate après-guerre, il n'y a de place que pour les récits de bravoure des résistants ; on enterre juin 40, la collaboration et avec eux la parole des prisonniers.

©Tardi



©Tardi


Et puis, il y a quelques temps, j'ai découvert ce documentaire sur l'Oflag XVIIA, tourné à l'insu des gardes allemands par un groupe d'officiers français prisonniers. C'est le dernier camp où Alfred a été détenu à partir d'août 1942.


On peut le visionner en VOD sur le site de France Télévision .

4 commentaires:

  1. Enfin eu le temps de lire ce très beau billet !!! Merci.

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  2. A mon tour de lire votre article sur votre grand-père, qui m'a beaucoup ému. Mon grand-père était au Stalag II D; Il travaillait dans une sucrerie. Il a écrit beaucoup de lettres qui nous renseignent sur sa vie pendant sa captivité. C'est toujours émouvant de croiser des destins individuels qui se ressemblent et qui rejoignent des destins collectifs !
    Je laisse le lien de mon article pour ceux que cela intéresse :http://feuillesdardoise.wordpress.com/2014/05/03/prisonnier-de-guerre-au-stalag-ii-d-souvenirs-de-mon-grand-pere/
    Bien amicalement.

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    1. Merci pour votre commentaire et votre lien ; effectivement les histoires personnelles trouvent parfois des résonances particulières : c'est tout l'intérêt des blogs ! Au plaisir de vous lire !

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  3. Bonjour,

    Mon père était aussi au stalag 2D, il parlait de STETTIN, il avait travaillé dans une sucrerie au début de sa captivité.
    Cordialement.

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