Mémoire vive / Côté professionnel

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De la découverte de vos ancêtres à la transmission de vos histoires et souvenirs de famille

vendredi 30 novembre 2012

Un Lauragais à Madagascar


Second volet de l'histoire des deux frères qui comme leur père, par les hasards de la conscription  par tirage au sort, quittèrent leur terre natale et partirent découvrir le monde.

Marc à Madagascar

Un peu d'histoire 

La première guerre franco-malgache s'achève par la signature du traité du 17 décembre 1885 qui place l'île sous une forme de protectorat, la France se chargeant des relations extérieures de Madagascar.

A l'intérieur du pays règne un grand désordre auquel la France envisage de mettre bon ordre dès septembre 1894, notamment pour maintenir les positions françaises, rétablir l'ordre, protéger les nationaux sur place et faire "respecter le drapeau". En janvier 1895, le principe d'une expédition est voté par la Chambre des députés française. 



Le corps expéditionnaire comprend 15000 hommes. 40 % de ces effectifs vont mourir de maladie, victimes pour la plupart du paludisme, alors qu'il n'y aura du côté français que peu de tués au combat. Cruel manque de préparation de la part des officiers français qui, à l'instar du colonel Gilon, chef de corps du 200e  régiment d'infanterie, donnent ces consignes : 

"A Madagascar, vous aurez à vous défendre contre trois ennemis bien plus redoutables que les Hovas : le soleil, les fièvres et la dysenterie. Contre ces trois ennemis vous avez le casque, l'eau bouillie et la ceinture de flanelle. Vous ne devez jamais sortir sans casque, car même sous un soleil nuageux, le soleil est mortel. Dans les haltes, ne vous couchez jamais sur la terre, qui est plus chaude que l'air et vous empoisonnerait par ses miasmes. Bornez-vous pour vous reposer à vous asseoir sur vos sacs. Vous ne sortirez jamais à jeun et ne boirez que de l'eau bouillie avec du thé ou du café. Pour éviter les conséquences du refroidissement du ventre, et conséquemment la dysenterie, vous ne quitterez point votre ceinture de flanelle. Voilà ce qu'il faut faire. Ce qu'il ne faut pas faire, sous aucun prétexte, c'est boire de l'alcool et manger des fruits qui, même s'ils ressemblent aux nôtres, renferment de violents poisons. En suivant ces recommandations vous reviendrez en France pour la récompense de vos victoires"
(source :  http://military-photos.com/madagascar2.htm)

Le 30 septembre 1895, les troupes françaises s'emparent de Tananarive. Le 1er octobre, un traité de protectorat est signé. Les troupes françaises sur place continuent d'assurer un maintien de la paix en réprimant ici et là des insurrections. 

Le 6 août 1896, les députés français votent une loi qui déclare "colonie française l'île de Madagascar et les îles qui en dépendent".

Marc 

Je ne sais pas grand-chose de Marc. J'ai appris son existence en découvrant, dans les papiers de mon grand-père, la notification de son décès survenu à Nossi-bè, en septembre 1895.

J'ai donc recherché son acte de naissance pour en savoir un peu plus.
Marc est né le 23 avril 1872 à Montmaur, dans l'Aude. Son père Guillaume est alors cultivateur ; il est âgé de 36 ans. Sa mère Marie, ménagère, est âgée de 37 ans. Son frère aîné Paul va sur ses 7 ans.


©Anne Dardaud

L'histoire le fige dans une date : il ne sera jamais vieux ; il ne sera jamais père, ni oncle. Il reste un fils et un frère, mort et enterré à des milliers de kilomètres de chez lui, sans sépulture pour laisser une trace dans la mémoire familiale. Sans ces papiers, je n'aurais jamais connu son existence.



Au-delà de son destin tragique et de sa mort prématurée, j'ai été touchée par cette preuve matérielle de l'existence physique de cet ancêtre. Il a pris le livret militaire de son père Guillaume comme cahier d'écriture ; on l'imagine assez bien, un crayon à la main, traçant ces lettres et inscrivant son prénom et ceux de sa famille. Tout un symbole.



Ces deux frères ont été les acteurs et les témoins de l'histoire coloniale française, dans sa partie conquête. Ils ont laissé leur famille pour partir servir une politique expansionniste dont ils ne saisissaient pas forcément tous les enjeux.

Le fils de Paul, mon grand-père Alfred, choisit de son plein gré la carrière militaire : il y voyait là une réelle possibilité d'ascension sociale. Fait prisonnier au début de la Seconde guerre mondiale, il verra ses ambitions se déchirer sur les fils barbelés de l'Oflag situé en Tchécoslovaquie, dans lequel il demeurera cinq années. Il décédera quelques années après son retour en France.

A l'autre bout du processus historique initié au 19e siècle, les petits-fils de Paul, les fils d'Alfred, partiront, toujours par le biais de la conscription, faire leur service militaire en Algérie, et embarqueront plus de soixante ans après, là où leur grand-père et leur grand-oncle avaient eux-mêmes embarqué. Je ne sais pas si l'histoire se répète, mais dans le cas présent, du Mexique à l'Algérie, elle a embarqué avec elle de nombreux jeunes hommes dans son sillage sanglant.
 

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Pour aller plus loin : 

lundi 26 novembre 2012

Interlude généalogique


En attendant la suite... Hymne des généalogistes

BOBY LAPOINTE 
 "Le papa du papa" 



PS : et c'est lui qui a aussi chanté "La maman des poissons"...

Quel arbre !

mercredi 7 novembre 2012

Poslední domy*


*Dernières demeures

Nouvelle promenade dans la série des dernières demeures (ParisMilan et Berlin), Toussaint oblige. Mais paradoxalement, je vous propose de vous faire découvrir le vieux cimetière juif de Prague, signalé dans tous les guides touristiques et dont la visite est strictement balisée, ce qui est bien dommage pour une amatrice comme moi de déambulation entre les pierres tombales.

Nous sommes dans un endroit chargé d'histoire, en plein coeur de l'ancien ghetto, dans le quartier de Josefov. L'ancien cimetière juif est considéré comme l'un des plus anciens d'Europe : créé en 1439, il ne reçoit plus de sépultures à partir de 1787, il est le symbole de la présence et de l'influence de la communauté juive à Prague.

On est frappé au premier regard de cet enchevêtrement de stèles : on a l'impression non pas qu'elles ont été plantées dans le sol mais qu'elles en sortent, qu'elles ont poussé de manière anarchique comme des végétaux de pierre. Le guide en précise le nombre : douze mille stèles en surface, quelques milliers sous terre. La terre, la pierre et les végétaux sont intimement liés. 

©Anne Dardaud


©Anne Dardaud

Les arbres continuent de pousser entre les tombes, et on ne peut s'empêcher d'y voir un symbole de vie si cher aux généalogistes...

©Anne Dardaud

©Anne Dardaud
 Les pierres brutes ont subi l'érosion du temps ; les inscriptions en hébreu, les symboles représentants les noms de famille, donnent un relief à ces stèles comme autant de sillons de vie qui ont traversé les époques.

©Anne Dardaud
©Anne Dardaud
©Anne Dardaud
©Anne Dardaud
 C'est un lieu de recueillement et l'émotion est palpable. On a à l'esprit à la fois tous les apports de cette communauté, tant artistiques qu'intellectuels à l'identité européenne en général et à Prague en particulier, et les souffrances à travers les siècles, les persécutions régulières au fil de l'histoire et bien sur la déportation et l'extermination. Ces stèles me font penser à celles qui seront dressées en 2005 à Berlin en mémoire des juifs assassinés d'Europe.

Mais on est aussi touché par la beauté de l'endroit : elle se révèle au fur et à mesure que l'on chemine, et on s'imprègne alors progressivement de la paix du lieu.

La lumière tient un rôle prépondérant : pour un moment, elle met en valeur telle sépulture, garde dans l'ombre telle autre ; elle filtre à travers les arbres et dessine des ombres sur les stèles qui se transforment en toile éphémère.

©Anne Dardaud

©Anne Dardaud

©Anne Dardaud

Loin des traditionnels chrysanthèmes déposés chaque année sur la tombe de mes défunts ancêtres, visitant une ville où je n'ai aucune attache et au-delà de l'aspect confessionnel, j'ai trouvé dans ce cimetière, fermé depuis plus de deux cents ans, une véritable aspiration à la mémoire et à l'éternité.